LIVE 2.00
Chapitre I
Naître dans les années 70 était une révolution en soit. Le monde avait déplacé ses curseurs et notre société ressortait sous un prisme différent. La lumière qui passait au travers de ce pavé de verre aurait pu laisser entrevoir les couleurs de l’arc en ciel, mais ce n’était pas encore un sujet, nous ne percevions à cette époque que l’intensité qui donnait un sentiment d’embrasement pour certains, de renouveau pour d’autres.
1968 avait été un premier détonateur pour toute une société. Ses revendications et son lot de pavés qui reposaient sur un lit de sable, sans même que l’on ait pris la précaution d’y ajouter un scellement. Qui aurait pu imaginer qu’il suffisait d’en desceller un seul pour qu’une rue se transforme en terrain de guerre. Ces pavés avaient pour objectif d’écraser un système, ils visaient à éradiquer une société bâtie sur des strates de conventions, joliment empilées. Les protagonistes se nommaient Pierre, Charles, Antoine, Sophie ou Marie. C’était une génération prête à exister, un coup d’état face à des politiques qui n’imaginaient pas un instant que leurs gamins en culottes courtes étaient devenus de jeunes gens prêts à en découdre avec les forces de police. Nous ne parlions pas de géopolitique, il ne s’agissait pas d’un conflit international comme ceux qui avaient secoués ces 50 dernières années. Aucun trait ne suffirait à faire oublier cette période. Il y aurait bien un avant et un après 68, une année ressentie comme un point de rupture, le signal d’un basculement irrémédiable. Comme le battement d’ailes d’un colibri dont les répercussions se propageraient vers l’infini des mondes et bien au-delà de notre nation.
Les années 60 avaient donné le ton d'une époque faite d'excès et d'incompréhensions entre les générations. Le passage à l'an 2000 était une nouvelle étape, attendue comme quatre chiffres qui définissaient LE FUTUR pour bon nombre d'écrivains et cinéastes. Une fiction qui oscillait autour d’un univers mêlant technologie et rupture, agressions venues de l’espace et menace de guerres intersidérales. Les extra-terrestres étaient asexués, leur peau évoluait de la couleur verte au translucide, ils étaient dotés d’une apparence somme toute humaine, à quoi bon puisque nous savons aujourd’hui qu’ils ne ressemblent pas du tout à cela ? Les scénarios s’empilaient sur les bureaux des superproductions américaines. L’homme s’y voyait dépossédé de sa vie, son enveloppe charnelle deviendrait le vaisseau d’extra-terrestres car leur unique obsession était la destruction de notre planète.
Mais un siècle plus tard, notre civilisation n’a eu besoin d’aucune vie extra-terrestre pour mettre à genoux sa planète. Thèses complotistes, secrets d’Etats, on parle depuis si longtemps à mots couverts d’un centre américain caché au fin fond du désert qui détiendrait la preuve de vie extra-terrestre. Est-ce vraiment le péril qui menace la Terre ?
Les conflits relèvent de la géopolitique pour les intellectuels et scientifiques du moment. Notre monde semblerait avoir pris beaucoup de retard sur les prévisions initiales. Les voitures ne volent pas, notre nourriture n’est pas faite de gélules multicolores et la planète Terre est encore habitable, même si elle est mise à mal par des éléments naturels en rébellion. Vague de chaleur et de froid, tremblements de terre et tsunamis s’ajoutent à une pollution qui n’échappe plus à notre peau, nos yeux et nos poumons.
Cette situation ressemble au pire et pourtant, un sentiment étrange flotte au plus profond de certains d'entre nous, et il est d’ailleurs préoccupant de constater que nous sommes assez peu nombreux à ressentir ce questionnement. Une appréhension de l’avenir doublée d’une sensation qui renvoie aux univers de la littérature japonaise. Est-ce une période de transition ou plutôt une atmosphère qui se joue des parallèles ?
Il semble évident que nous sommes au bord d'un basculement, irrémédiable, qui n’a rien de comparable avec l’avènement du rock ou du mouvement hippie. Nous ne sommes ni sous amphétamines, ni sous LSD. Le monde qui se prépare ressemble aux plaques tectoniques à des mètres sous nos pieds. En perpétuel mouvement, imperceptibles dans notre quotidien mais qui nous rapprochent un peu plus, chaque jour, d’une subduction qui viendra provoquer une catastrophe planétaire, projetant alors la conscience collective dans la réalité physique.
La véritable raison, qui s’en soucie vraiment ? qui a pris la mesure du danger qui coule au plus profond de nous tous sans même que nous ressentions la puissance de ce magma incandescent ?
Une poignée d’êtres humains sur chacun des continents ? assurément exclus de la médiasphère, tant leur part d’audience est inexistante ? ou bien des groupuscules qui s’agrègent pour vivre en communauté, perçus comme des mouvements sectaires ? A moins que ce ne soit les autres, qui restent volontairement isolés et partagent leurs idées au sein de loges à huit clos avec pour seuls moyens le pouvoir, un réseau, des actifs financiers.
50 ans plus tard, la jeunesse se remet en mouvement, en quête d’un avenir meilleur, d’un idéal. Le porte-étendard Ema Thunberg , jeune fille aux traits pubères est soutenue par une vague écolo qui cherche à fédérer une population qui ne croit plus en rien, du moins plus en ceux qui sont censés la représenter au niveau international. Les bulletins de vote dans les urnes ne sont même plus « blancs », ils disparaissent comme aspirés par le gouffre du refus. Depuis des décennies, la politique est synonyme de léthargie, d’incompétence à voir le monde tel qu’il est en train d’évoluer.
Alors que sont devenus nos « intellectuels » ? même s’ils sont bien différents du siècle des lumières, ont-ils disparus pour laisser place à des sociétés obscures qui défendent des intérêts convergents voir volontairement divergents avec dans les deux cas un même objectif, mais lequel ?
Quant à la « masse », celle que l’on appelait plus communément hier « le Peuple » et aujourd’hui « La société », elle se divise en deux blocs, ceux qui ont à géométrie variable les moyens de vivre, même s’ils sont plus attachés au niveau de leur batterie de téléphone portable qu’à l’évolution de leur vie et de leurs droits et ceux qui sont dépendants des minimas sociaux car victimes d’un système qui les asphyxient à coût de subventions en constante diminution au lieu de leur donner autonomie et reconnaissance.
Ils se sont installés aux ronds-points des villes et des villages, paralysent notre pays au son de leurs manifestations, osant imaginer qu’ils pourraient s’octroyer une part d’un gâteau qu’ils rêvent de dévorer ou simplement manger aux seules fins de se nourrir, ces manifestations sont-elles le reflet d’un réel manque de ressources financières ou bien le constat d’un malaise profond qui nous rend de plus en plus seuls dans une société où nous n’avons jamais autant communiqué ? Ce malaise est-il aussi nauséabond que les poubelles qui débordent régulièrement dans nos grandes villes en période de grèves ?
Leur quotidien est devenu la nécessité de posséder un toit, un téléphone, de quoi se nourrir, dans l'ordre ou presque. Notre regard n’a pas vraiment le temps ou l’envie de se poser sur eux, car au fond de nous le jugement immédiat est celui d’une frange de la société qui se nourri de subsides et se trouve dépendante de subventions directement prélevées sur nos revenus, ceux que nous avons perçus en échange d’un travail, d’un temps pris sur notre temps libre ou nos plaisirs. Nous avons les moyens de financer ces ronds-points de la misère, toujours plus précaires avec au fond de nous une once de terreur et qui nous murmure « ce sera peut-être toi, demain, ici ». Ces rassemblements ne trouvent pas de réponses, ils se trouvent manipulés par des courants politiques à la recherche de toujours plus de monde, ils génèrent du lien social, une matière qui s’effrite, comme l’érosion des montagnes de roches fragiles faces aux embruns, mais les éboulements des falaises d’Etretat font plus de bruit que cette misère qui devrait nous assourdir, une misère qui augmente chaque jour un peu plus.
Le monde brûle, explose, meurt sur nos écrans tel une production américaine qu’il n’est pas nécessaire de voir avec des lunettes 3D puisqu’elle est désormais en bas de chez nous. Et c’est quand nous ressentons dans nos poumons la fumée âpre des plastiques de voitures qui brûlent, les bris de verre sous nos pas, la vision des boutiques dévastées et les morceaux de mobiliers urbains détruits pour avoir servi de projectiles lors des manifestations, qu’alors nos esprits commencent à s’éveiller mais pas encore à s’interroger.
Les médias, les mouvements de foules qui se mobilisent dans nos rues activent des voyants qui clignotent sur les révoltes de masse ou le réchauffement climatique. Au point que nous en avons presque oublié les pandémies qui nous rattrapent. Les fléaux se développent eux aussi depuis des mois, sourds et discrets et nous rappellent que finalement, nous ne sommes pas tous égaux. Les vaccins et les masques nous auront permis de comprendre les limites de nos sociétés.
Quant aux grands périls qui balaient la planète, nous restons encore dubitatifs. Les cataclysmes secouent nos pays, les séismes anéantissent nos villes, les tsunamis nous effraient, la montée des océans se poursuit lentement mais aucune goutte d’eau n’a encore fait déborder le monde. La distance en km ou les prévisions d’une Terre difficile à vivre sont une échéance qui ira crescendo, elle est annoncée à 50 ans pour le commun des mortels, à 30 ans pour les plus défaitistes et à un siècle dans l’inconscient collectif.
Quel réel impact pour celui qui a une espérance de vie de 80 ans et qui juge qu’après 50 ans on est vieux ?
Accordons-nous vraiment autant d’importance à nos enfants au point de nous mobiliser pour eux ? sommes-nous capables de nous priver d’un confort personnel pour le bien être des générations futures ? Faut-il que l’annonce d’une mort imminente, comme celle de la maladie nous bouleverse au point qu’enfin nous nous sentions au pied du mur pour agir ?
Face à ces questions, une seule petite phrase raisonne à l’esprit de tous et nous offre la légèreté de reporter à demain ce qui devrait être fait aujourd’hui, « Rester optimiste et bienveillant ».
La focale serait-elle mal réglée ?
Notre planète est-elle vraiment en péril ?
L'origine du basculement est perceptible, l’atmosphère de flottement qui règne autour de nous est bien palpable. Nous sommes plongés dans un état second qui assène toujours les mêmes idées : devoir prendre des décisions essentielles à la survie de notre planète.
Et après ?
Nous n’avons pas encore imaginé que le pire nous attend.